Séminaire Sexualités imprimées #5 : queer mail art
SéminaireAvec son cycle « Sexualités imprimées », la Bibliothèque Kandinsky entend relire ses collections au prisme de la culture visuelle LGBTQI+, des livres illustrés de Jean Boullet aux queer zines, de la presse érotique des années 1930 aux magazines homosexuels des années 1980. Différents par leur format, les objets discutés le sont également par leur contexte de production et leur mode de diffusion.
Pour sa cinquième et dernière séance de l'année, le séminaire « Sexualités imprimées » se focalise sur le mail art européen et états-unien, avec Mica Gherghescu et James Horton.
Ulises Carrión, Mirror Box, Genève, Héros-Limite, [1979] 1995 – Bibliothèque Kandinsky, RLPF 3621
Sex and The Big Monster : le mail art en Europe, du réseau éternel aux réseaux invertis / James Horton
De Ray Johnson à Cosey Fanni Tutti en passant par General Idea ou Anna Banana, aborder le mail art à travers le prisme des imaginaires et des pratiques queer semble relever d’une démarche tautologique : en effet, la remise en cause des conceptions hégémoniques de l’art et de l’auteur effectuée par ces artistes tient largement à un humour camp, à une joyeuse recomposition des signifiants de genre et de sexualité, et à l’invention de nouvelles formes de sociabilité. Cette dimension queer semble souvent manquer – parfois cruellement – à une grande partie du mail art européen, et surtout à l’« art postal » français, dont la production paraît de prime abord particulièrement austère et dont l’historiographie reste par ailleurs fragmentaire.
Une bourse de recherche des Amis du Centre Pompidou a été l’occasion de poser, à partir de l’étude des collections de la Bibliothèque Kandinsky, quelques jalons d’une histoire hexagonale du mail art et de comprendre la place de ce dernier dans les réseaux européens. Ces recherches ont permis de revisiter ou de mettre au jour les pratiques des figures aussi diverses qu’Ulises Carrión et Thierry Agullo qui réaffirment la centralité de la sexualité et de l’érotisme dans la pratique marginale qu’est le mail art et dans les positions critiques qu’elle énonce à coup de tampons et d’envois.
James Horton est chercheur et enseignant en histoire de l’art, et actuellement ATER à l’Université de Tours. Ses recherches portent sur les imprimés d’artistes, la presse alternative, et le mail art. Sa thèse à l’ENS Paris se focalise sur le cut-up de Brion Gysin et William Burroughs et l’évolution de celui-ci au sein des réseaux de l’art expérimental et l’édition indépendante dans les années 1960 et 1970. Il est également commissaire d’exposition, membre de l’association et lieu d’exposition Treize, et traducteur, dernièrement de Nicolas Pages de Guillaume Dustan (Semiotext(e), 2023).
Anna Banana & William John Gaglione (ed.), VILE, n° 2/3, « Special International Double Issue »,
été 1976, San Francisco : Banana Productions – Bibliothèque Kandinsky, P 1245
Vile and Fun / Mica Gherghescu
John Held Jr. désignait les pratiques du mail art comme une forme de subversion à petite échelle. La petite tête de lapin, Spikey goes bananas, Mr. Peanuts ou Mickey Mouse sont devenus depuis les pièces d'échange, hyper-codées, ultramobiles, allègrement insolentes, d'une communauté de création, d'un réseau multiple et plastique, rhyzomik-epidemik, d'identités et de luttes. Transgressif par nature et par désir, l’art postal cultive jusqu’à nos jours les dimensions alternatives, coopératives, politiquement décalées, mais possède la rigueur de l'archive transnationale. Le médium imprimé reste son terrain de jeu d'élection et de performativité : revues, zines, tampons/stamps, timbres – ces Cendrillons de la philatélie – collages à volonté. Anna Banana, d'une part, avec ses « monuments of disgust » et d'humour méchant dans les numéros de Vile, et notamment avec le numéro culte « Fe-Mail Art » ; Image Bank, le réservoir de toutes les accumulations possibles de Michael Morris et Vincent Trasov ; ou bien cet exemplaire féroce multimédial de Fandangos de Raul Marroquin. On aime toustes les bananes, n'est-ce pas ?
Responsable du pôle Recherche et de la programmation scientifique à la Bibliothèque Kandinsky, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Mica Gherghescu est docteure en histoire de l’art de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, avec un travail sur les langages inventés, les écritures expérimentales, la poésie sonore, concrète et visuelle. Elle a été commissaire associée au Nouveau Festival en 2013, pour la section « Langages imaginaires » et a travaillé en tant que chargée de recherches dans le cadre du ré-accrochage des collections modernes du Musée national d’art moderne « Modernités plurielles » (2013) et la rétrospective « Martial Raysse » (2014). Elle a réalisé plusieurs expositions documentaires autour d’Aimé Césaire (2016), la poésie sonore et visuelle (2017) et plus récemment « Ghérasim Luca. Héros-limite » (2018), « La Galerie Claude Givaudan » (2020), « Poésie visuelle, concrète, sonore » (Dation Destribats, 2021) et « Mail Art » (2021). En 2019, elle a été la commissaire de l’exposition « Ghérasim-Luca : héros-limite », Musée national de la littérature roumaine à Bucarest, suivie en 2021 par l’exposition « Infra-noir : anatomies du désir, métamorphoses de l’image » à la Fondation Art Encounters de Timisoara. Depuis 2014 elle coordonne l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky, « Les sources au travail » et édite le Journal éponyme. A réalisé, avec Elitza Dulguerova, l’exposition de recherche : « Un espace pour autre chose : la Biennale de Paris, 1959-1985 » (Centre Pompidou, 2021). Elle dirige avec Didier Schulmann, le groupe de recherche 2e cycle « Vies d’artistes, de marchands et de collectionneurs dans les collections du Musée national d’art moderne », École du Louvre.