Daphné Rioual et Béatrice Sarno
Suite à l’accrochage d’une salle du Musée national d'art moderne consacrée au groupe Memphis en 2023, Martine Bedin fait don d'une documentation datée de 1981 à 1988. La relation tissée avec le Service design du Centre Pompidou aboutit à l’idée de confier à la Bibliothèque Kandinsky les 35 cahiers de croquis qui ont accompagné sa carrière de designer et d'architecte. Ils prennent désormais place près de ceux d’Ettore Sottsass dont elle a été une jeune et proche collaboratrice. Illustrées en couleurs et soigneusement datées, les pages de ces cahiers sont autant d’œuvres originales retraçant l’itinéraire professionnel de Martine Bedin de 1979 à 2022. Un témoignage de son parcours révélant au fil de ces presque 50 ans la signature reconnaissable d’une artiste. L’instrument de recherche du fonds est désormais en ligne.

Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Sottsass SOT 752 et Fonds Martine Bedin BED 2
Photo : © Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Ettore Sottsass/Dist. GrandPalaisRmn et © Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin
Reflets d’un journal intime
Les cinq premiers cahiers du fonds Martine Bedin, datés entre 1979 et 1980, ont des accents de journal intime. Témoins de la créativité débordante d’une jeune femme ambitieuse, qui précise dans un dessin du 31 octobre 1979 n’avoir que 22 ans, ses dessins révèlent un processus d’étude et de recherche ingénieux. Les séries Meubles homme et Mère et enfant (1980) laissent présager une conception des objets qui privilégie une émotion ou une présence et pas seulement une fonction. D’autres exemples en témoignent : l'Antenne, Lanterne (lampadaire inspiré d’une antenne), les roller tables (tables avec des patins à roulettes), Fauteuil gâteau d’anniversaire ou Fauteuil téléphone, les meubles de rangement Grain de riz, le bougeoir « en marche » 2009. Tout devient meuble.

Dessins de Martine Bedin extraits du cahier n. 2, 1979-1989
Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin BED 2
Photo : © Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin
Memphis, Sottsass et l’Italie de Martine Bedin
Rapidement après son arrivée en Italie, la jeune étudiante qui réside à Florence expose sa Casa decorata à la XVIe Triennale de Milan. Le premier cahier de dessin du fonds documente sa collaboration avec Michele De Lucchi ou Philippe Carl sur le manifeste de la Triennale de 1979. Cette triennale marque la première grande réflexion des créateurs italiens sur la spécificité du design industriel : sa production, ses usages, sa place culturelle. Parmi les 12 designers participants figurent Andrea Branzi, Ettore Sottsass et Adolfo Natalini. Martine Bedin a pris part aux débats posant les nouvelles bases du design en Italie.
Elle s'installe à Milan et s’entoure des designers italiens, tous adeptes du design radical. En décembre 1980, elle est est la plus jeune des membres fondateurs du groupe Memphis Milano. Pour sa première exposition en 1981, elle signe une série de lampes qui pour la plupart deviendront iconiques. Un cahier est entièrement dédié à Memphis (1981-1982). Nous y trouvons la célèbre Super Lamp, dont le Musée conserve également des dessins originaux. Un mélange de patins à roulettes et d’ampoules qui placent encore une fois l’humain, le jeu, la joie au cœur de l’objet.
Martine Bedin reste proche d’Ettore Sottsass avec qui elle entretient des relations amicales et professionnelles. Ils imaginent ensemble le mobilier urbain du parc de la Villette à Paris et travaillent sur la conception de chaises présentes dans les cahiers (1988).
Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin BED 36
Photo : © Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin
Le Sud-Ouest
Malgré son implantation en Italie, Martine Bedin ne restera jamais loin du Sud-Ouest dont elle est originaire, elle n’hésite pas à y faire référence à de nombreuses reprises dans son travail, comme le suggèrent les vases « Port de la Lune », évoquant la ville de Bordeaux où elle est née.
Les cahiers de Martine Bedin illustrent son travail architectural dans le Sud-Ouest, dès 1985 et jusqu’aux années 2000. Entre 1985 et 1986, elle travaille sur une résidence qu’elle nomme La Girondine. Elle conçoit également une Salle polyvalente pour la ville de Quinsac, où elle possède une maison, et en construit une autre qu’elle dessine en 1991. Elle étudie et transforme à plusieurs reprises les échoppes bordelaises, et construit en 1994 La Maison Rouge.

Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin, BED 24
Photo : © Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin
Collaboration, mode & design
À la fin des années 80, Martine Bedin se détache petit à petit du groupe Memphis et diversifie ses activités à travers des collaborations. Parmi celles-ci, le Mobilier International en 1984, Daniel Hechter en 1987, et G. Rodson. En parallèle, elle collabore avec des marques de mode, imagine des collections de sacs et d'accessoires pour Martell, Louis Vuitton, Kenzo, et réalise en 1994 un travail de plus grande ampleur pour Loewe, auquel un cahier entier est consacré en 1994. En 1996, elle crée des seaux à champagne pour Moët & Chandon, et en 2000, elle se charge de la conception du salon de coiffure de Frank Vidof. En 2008, elle participe à la conception d’une collection de vases pour la manufacture de Sèvres en collaboration avec l’artiste photographe Jeannette Montgoméry-Barron. Une effervescence de projets à la variété insolite, comme autant d’expressions d’une inépuisable diversité dans la création : invention de motifs, de formes, mais aussi habitations, aménagements, décorations, Il semble n’y avoir pas de frontière entre les disciplines.

Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin BED 32
Photo : © Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, fonds Martine Bedin
Lampes, textiles, vaisselle, vases, chaises, bureaux, étagères, les créations de Martine Bedin sont autant de prétextes au jeu, au sourire, à l’inattendu. A l’image de ces marches qui ne mènent nulle part mais qui donnent la possibilité de s’asseoir dans son salon comme on prend place sur le parvis d’un vieux monument. Faire une pause, observer le quotidien d’un air distant, amusé, malicieux. Comme au spectacle. En cela les créations de Martine Bedin révèlent toujours résolument un parti-pris. Le parti-pris de la distance, du jeu, du léger, du libre.
En vignette : Préparation d’une conférence, 1986. Dessin de Martine Bedin extrait du cahier n. 14, 1986-1995. Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Martine Bedin BED 14. Photo : © Centre Pompidou, Mnam-CCI, Bibliothèque Kandinsky, fonds Martine Bedin
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